J’avais 23 ans. Quelques mois auparavant, j’avais rencontré mon compagnon à l’autre bout du monde. Ma première relation amoureuse, pleine d’aventure, d’incertitudes et d’espoir !
Naïvement confiante, je suis tombée enceinte quelques semaines après son arrivée en France. Ce fut comme une bombe. Je n’avais ni emploi, ni logement, ni surtout eu le temps d’imaginer ou de désirer cet enfant avec un homme que je connaissais à peine.
Parmi le feu d’artifice d’émotions qui suivit, je me souviens d’un intolérable sentiment d’injustice. Je me considérais alors comme une bonne catholique, moderne à certains égards, mais droite. Cela ne pouvait pas m’arriver A MOI !
J’étais submergée par une immense panique et une terrible culpabilité au « NON ! » qui se criait en moi. Mes beaux principes fondaient comme neige au soleil en situation concrète.
Une des douleurs les plus vives fut de ne pas reconnaître mon reflet dans la glace. Impossible de concevoir que, dans mon ventre, un autre être se développait.
Je hurlais mon déchirement au Ciel, je l’implorais de recevoir le courage d’accueillir ce qui se passait en moi, ou le pardon pour ce que je m’apprêtais à faire.
Me confier à un prêtre fut insuffisant. Malgré la volonté de mon compagnon et de sa famille de garder l’enfant, malgré l’assurance de mes parents d’être là pour moi quelle que soit ma décision, je décidais d’avorter. De supprimer le problème, puisque je me sentais incapable d’aimer cet enfant non désiré, cet enfant qui m’enchaînait dans une relation amoureuse que je n’avais pas eu le temps de choisir réellement.
J’avortais donc, le cœur glacé. Mon compagnon me soutint comme il put. Nous avons choisi ensemble un nom à notre bébé. Puis il fallut se remettre à vivre. Sortir, trouver un emploi, construire un couple sur les bases d’un effondrement.
Au bout de quelques mois, mon droit à la souffrance était amoindri. Au bout de quelques années, j’étais officiellement priée d’oublier ce qui s’était passé et de tourner la page pour bâtir l’avenir. Pour cela et pour d’autres raisons, je quittais mon compagnon.
Ma première réaction fut de me réfugier dans une retraite en silence, pour faire le point. J’y reçus comme une évidence que l’urgence était de guérir de ce sang que je voyais toujours sur mes mains. Un contact en entraînant un autre, on me glissa le nom de Mère de Miséricorde en quelques mois. Sans trop savoir dans quoi je m’engageais, je m’inscrivais à la Station Stabat de l’été même. Ce lâcher prise fut la meilleure décision de ma vie.
Entourée de femmes ayant vécu le deuil d’un enfant, je me sentis pour la première fois libre de parler, comprise, enfin, au plus profond de moi-même. Je fus écoutée sans être jugée. L’accompagnement, mêlant tête-à-tête avec une accompagnatrice, topos et temps spirituels, le tout dans le cadre splendide du massif de la Sainte Baume, permettait de s’ouvrir progressivement, en confiance, d’accepter la grâce de la guérison. Les veillées, en particulier, furent inoubliables. La session Stabat, ça bouscule ! On en prend plein la tête, plein le cœur, plein les tripes, tout en même temps !
Mais quelle joie de se sentir sur le chemin de la réconciliation avec soi-même après les tortures de la culpabilité ! Quelle libération de reconnaître l’existence de l’âme de son enfant rejeté, de cet enfant jamais vu ! Quelle paix de choisir de poser une plaque à son nom dans la grotte de la Sainte Baume, sous la protection de Marie Madeleine !
Quelles grâces dans ces rencontres humaines et dans ce cœur à cœur avec Dieu, qui mène pas à pas vers le Pardon…
Aujourd’hui, sept ans plus tard, je rends grâce à Dieu du chemin parcouru, si rapide en comparaison de celui de beaucoup de mes sœurs. C’est au cœur de cette souffrance qu’est née en moi une farouche volonté de vivre plus justement. De cette souffrance, est tiré un bien dont je ne vois que les premiers fruits. Le sens de ma vie a changé du tout au tout. Je prie pour qu’il en soit de même pour vous.